15/06/2012

Deux baffes et ça repart

Le sol est vaseux, vos pieds s’enfoncent dans une glaise épaisse et dense. L’obscurité glaciale règne autour de vous. Vous vous sentez écartelée dans tous les sens perdue au milieu d’une confusion perverse qui pollue votre esprit et vos sens. Une sensation d’étouffement envahit votre corps. Ce n’est pas un cauchemar, mais juste votre vie, le marasme dans lequel vous évoluez, sans pouvoir décoller les pieds de cette terre trop meuble et trop mouvante pour que vous vous stabilisiez.

    Bon, on ne va pas se voiler la face et se la raconter, genre je-suis-trop-fort-même-pas-ça-m’arrive-à-moi. Tout le monde a vécu un truc similaire au moins une fois dans sa vie. Tttttt, pas d’histoire, on connaît la chanson :
-    Les réveils vous rapprochent plus d’une victime de tsunami que d’un oisillon qui vient juste d’apprendre à voler.
-    Vos yeux en disent plus long sur la noirceur du monde qui se reflète dans vos orbites que sur la découverte improbable du vaccin contre le virus du SIDA.
-    Votre humeur vous fait passer de Mister Hide à Hulk quand il est hyper véner en moins de deux secondes, sans passer par la case Dr Jekyll ou Barbapapa. Et il vaut mieux éviter de vous demander comment ça va, le matin, à midi, à 13h30 ou à 17h ou à aucun moment de la journée finalement, voire de la semaine. C’est mieux.

-    Votre esprit combatif s’est depuis bien longtemps transformé en une sorte de tumeur aigrie et désagréable dont les seuls mots qui sortent sont emplis d’ironie lourde et de soupirs hystériques.

-    Dans ces moments-là, il vaut mieux déconseiller aux amis véritables de chercher à prévoir une sortie en votre compagnie. Ils finiraient les yeux injectés de sang, obligés qu’ils seront de se retenir de vous étriper en entendant vos jérémiades continuelles. Oui parce qu’évidemment, cette violence intérieure est communicative et vos ondes négatives ont largement irradié un vaste rayon de vos connaissances. Pensez à vérifier vos arrières au cas où certains auraient misé sur votre caboche auprès d’un tueur à gages.

-    Sans compter que de toutes façons, vous n’avez aucune envie de sortir, préférant une bonne soirée déprime à regarder 60 fois votre compte face de bouc en moins de quatre minutes pour voir s’il y a de nouvelles actualités. Et bien non. Sachez-le, vos amis ne sont pas scotchés au réseau. Ils sortent et ont une vie sociale parfois très épanouie. Si, si !

-    A cela s’ajoute inévitablement un rapport à la nourriture proche d’une livraison d’un sac de riz en Ethiopie : un carnage. Sauf que dans ce cas les denrées choisies par vos soins feraient pâlir un petit africain affamé. Les bonbons font exploser votre budget, ainsi que les boutons de votre pantalon et ceux de votre visage. Vous regardez parfois les chiottes en vous disant que vous vomiriez bien un coup, mais non, vous ne tomberez pas si bas, réflexion faite avec un sandwich saucisson-camembert dans la bouche. Pathétique.

Bref, vous déprimez. Mais vous en êtes consciente, début qui pourrait paraître prometteur si vous n’aviez pas pris la fâcheuse habitude de tout voir en noir profond.

Alors vous cherchez tout de même des solutions :
-    Le sport : votre volonté de fer n’y parviendra jamais, le fer est émoussé. Impossible de vous bouger plus d’une fois par mois. Cela vous fait du bien, mais l’effort à fournir pour bouger vos fesses jusqu’à la salle de sport ou la piscine représentent un obstacle que seul un super héros pourrait franchir.

-    Les livres qui font que tout-de-suite-là-maintenant tu te sens trop prête à affronter la vie et ses épreuves trop difficiles, tu vois : bon ça marche un temps, au moins pour voir les choses en gris. Vous avez fait toute la batterie de tests de la collection des ouvrages « Pour » : Pour gérer le stress, Pour penser positif, Pour faire du bien à votre corps, Pour mieux manger le soir, Pour réussir à poser le pied droit en premier le matin, Pour réussir à te dire que tu n’es pas complètement une merde parce que tu dois croire en toi et opter pour la positive attitude ! Ces livres vous permettent de conscientiser votre tristesse, vos faiblesses, mais au final, ça ne résout rien.

-      La psy : vous choisissez l’option psychologue plutôt que psychiatre afin d’éviter la médicamentation. En effet, à votre état larvaire pourrait s’ajouter une dangereuse dépendance, des accès de furie hystérique, des phases de sommeil profond, des plongées dans des univers parallèles qui donneront l’impression que vous avez fumé un champ entier de marijuana. Il vous faut tout de même faire montre d’une certaine contenance au boulot. L’option psy pourra vous permettre d’évoluer et surtout de parler à quelqu’un d’extérieur. Cela soulagera vos amis et votre famille. Lesquels enverront en douce des lettres de remerciement pour les avoir enfin libérés du joug de vos plaintes et sautes d’humeur. Mais cela ne suffira pas. Introspection et compagnie 0 – déprime 10.

Non, toutes ces techniques ne suffiront pas. Vous n’aurez pas le déclic. Et vous continuerez d’attendre de pouvoir donner une impulsion pour remonter à la surface.
Et un jour, au détour d’une de vos sempiternelles tergiversations, une ou deux amies agiront sans le savoir comme un coup de fouet stimulant. L’effet « deux baffes et ça repart ».  Elles vous assènent un uppercut qui devrait, de l’avis de tous, vous laisser sur le carreau. Une remarque sur votre comportement, une pique à l’encontre de votre égoïsme ou de votre mécontentement permanent et le ciel soudain s’ouvre sous vos yeux. Vous vous retrouvez face à votre propre portrait, tel un miroir reflétant votre être profond, face à vous-même.
Vous avez alors deux solutions :
-    Soit vous ne parlez plus jamais à vos copines parce que là franchement elles ont trop exagéré, tu vois, j’aurais jamais cru ça d’elles ! Oui non mais trop pas ! Vous continuez gentiment à vous voiler la face et à vivre dans votre petit monde glauquissime.
-    Soit vous acceptez de voir la vérité en face, vérité que vous connaissiez parfaitement, mais qu’il était plus facile d’enfouir bien profond. C’est alors que vous réagissez. L’envie, enfin, de taper de nouveau du pied, de quitter la vase, de respirer un grand bol d’optimisme et de sérénité vous submerge.

Comme un puzzle inachevé, les pièces se remettent une à une dans leur disposition finale pour créer un tableau que vous discernez enfin : votre instant présent et votre capacité à avancer par petits pas ou grands sauts, vers un horizon plus favorable. Une étrange sérénité voit le jour et envahit votre esprit. Vous savez que le combat contre vous-même ne touche pas encore à sa fin (le fera-t-il d’ailleurs un jour ?) mais vous avez envie de vous battre à nouveau, avec le sourire. C’est un combat serein, une construction plus qu’une destruction.

Alors d’un simple mouvement, un baiser sur une joue, vous remerciez vos amies d’avoir été ce qu’elles devaient être : des amies.